Tous
les
experts
accordent
aujourd'hui
à ce
"deuxième
Évangile"
une antériorité
certaine
sur le
"premier"
tel que
le reçoit
l'Écriture
chrétienne.
Il
semble
bien
qu'en
effet l'Évangile
de
MATTHIEU
dans sa
rédaction
grecque,
la seule
qui soit
parvenue
jusqu'à
nous,
doive à
MARC
notamment
dans les
récits.
De fait,
MARC et
MATTHIEU
comptent
quelque
500
versets
communs,
du moins
en
substance
; et même
s'il
n'est
pas
exclu
que
celui-là
ait pu
comme
celui-ci
exploiter
des
documents
antérieurs
à l'un
et à
l'autre,
parmi
lesquels
des
traductions
grecques
partielles
du
"Matthieu-araméen"
disparu,
l'emprunt
paraît
évident.
t'Évangile
de MARC
est donc
le plus
ancien
des Évangiles
canoniques.
La
tradition,
constante
et peu
discutée,
désigne
sans équivoque
son
auteur :
Marc,
appelé
aussi
jean,
maintes
fois cité
dans les
ACTES et
les Épîtres.
Le
passage
qui le
mentionne
pour
la
première
fois
(ACTES,
chap.
12,
vers.
12) le
montre
déjà
très
proche
de
Pierre :
c'est
dans la
maison
de sa
mère
que
cherche
refuge
celui-ci,
après
sa
libération
miraculeuse
de là
prison
où
l'avait
jeté
Hérode
Agrippa.
Cousin
de
Barnabé,
lui-même
notable
de la
première
communauté
chrétienne
de la
Ville
Sainte
(cf.
COLOSSIENS,
chap. 4,
vers. 10
;ACTES,
c. 4, v.
36‑37
; c. 9,
v. 27,
etc.),
Marc
s'engage
avec lui
aux
côtés
de Paul
dans le
premier
voyage
missionnaire
de
l'Apôtre
;mais de
Pergé
en
Pamphylie,
il
revient
à
Jérusalem
(ACTES,
chap.
12, vers
25 ; c.
13, v. 5
et 13)
où
Pierre
réside
encore.
Paul lui
tiendra
rigueur
de cette
retraite
en
refusant
sa
participation
à une
seconde
mission
en Asie
Mineure,
mais
Marc
accompagnera
alors
Barnabé
pour
l'évangélisation
de
Chypre
(ACTES,
drap.
15,
vers.
37-39).
La
réconciliation
apparaît
cependant
totale
et
ancienne
lors de
la
première
captivité
romaine
de
l'Apôtre
,
auprès
de qui
Marc se
tientà
nouveau
(cf.
COLOSSIENS
' drap.
4, vers.
10 ;
PHILÉMON,
vers.
24). Peu
de temps
avant
son
martyre,
Paul
réclamera
encore
la
présence
de ce
collaborateur
"si
utile
pour le
ministère"
(2
TIMOTHÉE,
chap. 4,
vers.
11)...
Dans
les années
63-64 en
tout
cas,
Marc se
trouve
à Rome
(la
"Babylone"
du
temps,
capitale
de
l'Empire,
mais
aussi du
paganisme
et de la
débauche),
et il y
est avec
Pierre,
qui le
nomme
"son
fils"
(1
PIERRE,
chap. 5,
vers.
13). Ce
fils
spirituel
du
prince
des Apôtres,
de qui
il avait
sans
doute reçu
le baptême
et sûrement,
en
abondance,
l'enseignement
évangélique,
fut
aussi
semble-t-il
pour son
père
dans la
foi une
sorte de
secrétaire-traducteur
lorsqu'il
l'assistait
en son
ministère,
puis le
répétiteur
fidèle
de son témoignage.
Tel
est
l'avis
exprimé
par de
nombreux
Pères,
exégètes
ou
apologistes
du II°
au IV°
s., tels
Clément
d'Alexandrie,
Tertullien,
Eusèbe
de
Césarée,
Origène
ou saint
Jérôme.
Trois
documents
particulièrement
explicites
suffisent
à
éclairer
l'essentiel.
"C'est
bien ce
que
[Jean]le
Presbytre
avait
coutume
de dire,
écrit
vers
l'an 110
Papias,
évêque
d'Hiérapolis
: Marc,
l'interprète
de
Pierre,
a écrit
exactement,
non dans
l'ordre
cependant,
tout ce
dont il
se
souvenait
de ce
qu'avait
dit ou
fait le
Seigneur.
Certes
il
n'avait
pas
lui-même
entendu
le
Seigneur,
ni ne
l'avait
[lui-même]
suivi ;
mais,
plus
tard...,
il avait
accompagné
Pierre
qui
donnait
ses
enseignements
selon
les
besoins
de ceux
qui
l'écoutaient
et sans
faire un
exposé
ordonné
des
oracles
du
Seigneur...
Il
n'eut...
qu'une
préoccupation
: ne
rien
négliger
de ce
qu'il
avait
entendu
et ne
rien
livrer
de
faux."
Et,
datés
du
dernier
tiers du
II° s.,
les
Prologues
destinés
à
défendre
contre
les
thèses
de
l'hérétique
Marcion
(mort
vers
160)
l'authenticité
des
Écrits
qu'il
déniait,
précisent
qu'après
la mort
de
Pierre
(persécution
de
Néron
64-67),
"Marc,
qu'on
appelait
aux
doigts
courts
(en
raison
d'une
réelle
disproportion
physique),
mit par
écrit
ce même
Évangile,
en
Italie"
;
opinion
sanctionnée
par
saint
Irénée,
devenu
évêque
de Lyon
vers
177-178
:
"Après
leur
mort
(celle
de
Pierre
et de
Paul),
Marc...
nous
transmit
par
écrit
ce qui
avait
été
prêché
par
Pierre."
Les
données
fournies
par
l'étude
critique
du texte
de MARC
corroborent
celles
qu'apporte
la
tradition.
Le
vocabulaire
pauvre,
la
syntaxe
rudimentaire
‑
qui sait
cependant
tirer
des
effets
surprenants
de son
mépris
de la
concordance
des
temps ou
de
l'emploi
des
particules
adversatives
‑
dénoncent
un
auteur
dont le
grec
n'est
pas la
langue
maternelle
; et son
recours
aux
constructions
ou
locutions
sémitiques,
autant
que sa
parfaite
connaissance
des
usages
du
judaïsme
palestinien
et des
sites de
Palestine,
s'accordent
à la
manière
et au
savoir
d'un
juif de
Jérusalem
Au
demeurant
ce Juif
écrit
d'évidence
pour des
non
Juifs,
qui
ignorent
ces
usages
et ces
sites.
Il
explique
donc les
uns et
précise
les
autres
(ex.:
MARC,
drap. 7,
vers.
3-4 ; c.
15, v.
42 ; c.
11, v. 1
; etc.),
n'omettant
pas de
traduire
au
besoin
ses
citations
araméennes
(ex.
chap. 5,
vers. 41
; c. 7,
v. 34 ;
c. 15,
v. 34).
Bien
plus,
l'explication
qu'il
donne de
certains
tenues
(ex.
"1/4
d'as"
pour 2
leptes,
"le
prétoire"
pour la
cour
intérieure
du
palais,
cf.
drap.
12,
vers. 42
et c.
15, v.
16)
laisse
supposer
qu'il
s'adresse
d'abord
à des
hellénisants
latins ;
les
nombreuses
expressions
latines
que
décèlent
les
experts
sous une
écorce
grecque
renforcent
l'hypothèse
d'une
rédaction
exécutée
"en
Italie".
Enfin,
sans
insister
comme le
fait
MATTHIEU
pour son
premier
auditoire
judaïque,
sur
l'accomplissement
de
l'Écriture
ancienne,
que
cependant
il
évoque
(ex.:
chap. 1,
vers.
2-3),
MARC
relève
avec
soin ce
qui
touche
à la
vocation
des
nations
païennes
(ex.
drap. 7,
vers. 27
; c. 11,
v. 17,
etc.).
"Le
témoignage
de
Pierre"
Tout
incite
aussi à
penser
qu'il
s'agit
bien là
d'un
"Évangile
selon
Pierre".
Le
langage
direct
et coloré
qu'on
accorde
volontiers
au pêcheur
de Galilée,
sa
personnalité
vigoureuse,
au tempérament
entier,
et son
humilité
même,
transparaissent
dans ces
pages.
Par les
détails
finement
observés
ou les
circonstances
étonnantes
de précision
qu'on y
découvre,
elles ne
peuvent
être
que
transcriptions
exactes
des
rapports
d'un témoin
oculaire,
rendus
par
"l'interprète"
dans le
style
parlé,
très
populaire
en sa
fraîcheur
et
combien
émouvant,
où il
les
avait
entendus
cent
fois, de
Jérusalem
à Rome.
De
l'appel
des
premiers
disciples
(chap.
1, vers.
16) qui
ouvre le
ministère
du
Christ
jusqu'à
l'annonce
qui
confirme
sa
Résurrection
(chap.
16,
vers.
7), MARC
fait
souvent
à
Pierre,
dans ses
récits,
une
place
distincte
parmi
les
Douze.
Mais
respectueux
sûrement
de la
prédication
de son
maître,
il rie
met en
valeur
rien de
ce qui
pourrait
exalter
celui-ci,
pas
même sa
primauté
dans le
collège
apostolique
(chap.
8, vers.
29; cf.
MATTHIEU,
chap.
16,
vers. 16‑19).
Il ne
cache
rien en
revanche
des
écarts
et des
faiblesses
humaines
dont
n'est
pas
exempt
le
prince
des
Apôtres,
jusque
dans son
triple
reniement
(ex.
MARC,
chap. 8,
vers.
33, c.
9, v.
5-6; c.
14, v.
30-31,
37,
66-72),
offrant
ainsi
aux
autres
Évangélistes
la
confession
exemplaire
qu'ils
reprennent
.
(cf.
MATTHIEU,
chap.
26, v.
69-75 ;
LUC, c.
22, v.
55-62 ;
cf.
JEAN, c.
18, v.
25-27);
et c'est
du reste
avec la
même
simplicité
qu'il
relate
les déficiences
et les
égarements
des
autres
disciples
choisis
cependant
entre
tous
(ex.
MARC, c.
6, v. 52
; c. 8,
v. 16-18
et 21 ;
c. 9, v.
10, 18,
28-29,
32, 34,
38 ; c.
10, v.
13, 32,
37, 41 ;
c. 14,
v. 50).
Comment
ne pas
croire
à la
sincérité
totale
d'un témoignage
garanti
par de
tels
aveux?
..
Et
comment
ne
serait-il
pas
aussi
simple
et
sincère
dans les
propositions
capitales
de la
Bonne
Nouvelle
qu'il
publie ?
Cet
Évangile
de MARC
"selon
Pierre"
est bien
l'Évangile
"du
Fils de
Dieu",
ainsi
que
l'annonce
son
auteur
(chap.
1, vers.
1). Les
termes
prennent
ici leur
sens
plein
hautement
affirmé
à
l'adresse
du monde
païen
qui
vénère
une
multitude
de faux
dieux.
C'est la
Divinité
réelle
et
souveraine
du
Christ
jésus
que
proclament
les
démons
par la
bouche
des
possédés
(chap.
3, vers.
11 ; c.
5, v.
7),
qu'évoque
le grand
prêtre
devant
le
Sanhédrin
("Fils
du Béni
= de
Dieu",
c. 14,
v. 61),
ou que
reconnaît
le
centurion
du
Golgotha
(c. 15,
v. 39) :
celle
qu'atteste
la voix
d'En-Haut
sur les
rives du
Jourdain
(chap.
1, vers.
11) et
sur la
montagne
de la
Transfiguration
(c. 9,
v. 7).
L'empire
absolu
du
Christ
sur les
esprits
du mal,
sa
toute-puissance
manifestée
par les
miracles
qu'il
accomplit,
sa
victoire
sur la
mort
elle-même,
en sont
preuves
éclatantes
que
l'Évangéliste
recueille
avec
l'art
souverain
du
reporter,
dont la
manière
réaliste
renforce
le
crédit.
Le
"Fils
de
Dieu"
est
aussi le
"Fils
de
l'homme"
(chap.
2, vers.
10 et 28
; c. 8,
v. 31 et
38 ; c
9, v. 9,
12 et 31
; etc,).
A l'époque
du
Christ,
il faut
bien sûr
entendre
du
Messie
cette dénomination
; elle
tient à
la fois
de la
prophétie
de
DANIEL
(chap.
7, vers.
13-14),
qui
attribue
"La
puissance,
la
gloire
et le règne"
au
personnage
qu'elle
désigne,
et du
livre
non
canonique
d'Hénoch
qui le célèbre
comme
juge et
sauveur.
Ainsi
que
MATTHIEU
et LUC,
mais
souvent
mieux
qu'eux,
:MARC
rend
compte
du
rapport
établi
par le
Christ
entre le
"Fils
de
l'homme"
et le
Serviteur
souffrant
annoncé
par ISAÏE
(cf.
chap.
49,
vers, 7
; c. 50,
v. 6 ;
c. 52,
v. 13 à
c. 53,
v. 12).
Ce
qu'une
telle
révélation
(MARC,
chap. 8,
vers. 31
; c. 9,
v. 12 et
31 ; c.
10, v.
33 et
45)
pouvait
avoir de
choquant
pour les
Juifs du
I"'
siècle,
aux
aguets
d'un
Messie
glorieux,
expliquerait
en
partie
le
"secret"
recommandé
par
Jésus
sur tout
ce qui
tend à
son
identification
exacte,
jusqu'au
plein
accomplissement
de sa
mission
dans le
triomphe
du
Sacrifice
et de la
Résurrection.
On
notera
l'insistance
du
second
Évangile
sur ce
"secret
messianique"
(ex.
chap. 1,
vers.
25, 34,
44 ; e.
3, v. 11‑12
; c. 4,
v. 11-12
et 33-34
; c. 5,
v. 43 ;
c. 7, v.
36 ; c.
8, v. 26
et 30 ;
c. 9, v.
9 et 30
; cf.
MATTHIEU,
chap. 9,
vers. 30
; LUC,
c. 4, v.
35 et 41
;
c. 5, v.
14 ; c.
8, v.
56) qui
a pu
tout
particulièrement
marquer
Pierre,
éclairé
en sa
perspicacité
naïve,
avant
même
que la
pleine
lumière
de
l'Esprit
n'illumine
au
regard
de tous
la
personne
du
Christ.
Enfin,
avec la
même
ferveur
tranquille
qu'il
met à
montrer
la
divinité
de
l'Homme
- Dieu,
l'Évangile
de MARC
souligne
à
touches
subtiles,
qu'on découvrira
en une
lecture
attentive,
sa non
moins réelle
humanité
jusque
dans les
actes
ordinaires
de la
vie
quotidienne
(ex.: c.
4, v.
38; c.
11, v.
12;
etc.).
S'il
n'y faut
pas
chercher
davantage
qu'en
MATTHIEU
ou en
LUC les
précisions
chronologiques
que
fournirait
un
journal
de
marche,
on
reconnaîtra
dans
cette
oeuvre
palpitante
de vie
les
quatre
parties
du plan
d'ensemble
commun
emprunté
à la
prédication
de
Pierre :
1"
Préparation
du
ministère
public
de
Jésus :
chap. 1°.
vers.
1-13 ; 2°.
Ministère
exercé
en
Galilée
ou à
partir
de la
Galilée
:
chap. 1,
vers. 14
à chap.
9 ; 3°.
Montée
vers
Jérusalem
: chap.
10;
4°. Ministère
à
Jérusalem,
Passion
et
Résurrection
: chap.
11 à
chap.
16. Les
douze
derniers
versets
(chap.
16,
vers. 9
à 20)
n'appartiennent
sûrement
pas au
texte
original
de MARC
: ils
remplacent
vraisemblablement
une
conclusion
perdue.
Le fait
ne met
nullement
en cause
leur
inspiration
divine,
garantie
par
l'autorité
de
l'Église.
A.-M.
GÉRARD